PAMexpo: le parc à mitrailles à Court-St-Etienne
Le parc à mitrailles est un imposant hall industriel devenu aujourd’hui lieu d’activités à caractère événementiel. Il se situe au cœur de l’ancienne petite localité industrielle de Court-Saint-Etienne jadis occupée par les usines Emile Henricot.
La forge du Grand Moulin créée en 1847 et dotée d’une fonderie de fonte et d’une émaillerie est rachetée en 1858 par le comte Albert Goblet d’Alviella (1790-1873) qui, en 1866, s’adresse à l’ingénieur Emile Henricot (1838-1910) pour y installer une aciérie ; ce dernier en devient l’unique propriétaire dès 1885, donnant à sa production d’acier et à la coulée de pièces métalliques une impulsion remarquable. A leur apogée dans le années 1960, les usines occupent près de 2.500 travailleurs sur un site de 20 hectares entièrement couvert de halls jointifs. A la veille de la cessation définitive de ses activités, en novembre 1984, la société jouit d’une réputation mondiale dans le domaine des métaux coulés de haute qualité.
La construction du hall du parc à mitrailles date de 1952 et correspond au redéploiement des activités au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Destiné à couvrir l’aire du parc à mitrailles qui borde la ligne de chemin de fer Anvers-Charleroi, il est doté d’un pont roulant large de 21,50 mètres et d’une capacité de 7,5 tonnes. Celui-ci opérait sur toute la surface du hall long de 120 mètres et remplaçait le chemin de fer aérien qui, à l’époque, effectuait à ciel ouvert la manutention des mitrailles d’aciers inoxydables, de tournures ou d’aciers ordinaires et d’aciers alliés rassemblées sur le site. Hormis le pont roulant aujourd’hui démonté, le hall se présente tel qu’à son origine, sans aucune autre transformation.
Rebaptisé du même nom, le parc à mitrailles s’inscrit dans un remarquable ensemble de bâtiments réaffectés, particulièrement significatif du passé des usines Emile Henricot. L’alignement des édifices le long du chemin de fer s’offre comme un décor patrimonial à la vue des usagers du nouveau centre urbain qui lui fait face. L’ensemble se compose du Foyer populaire (1913), dès l’origine salle de spectacle, du dispensaire (1922) occupé désormais par le Centre culturel du Brabant wallon, de la conciergerie (1908) qui abrite des œuvres paroissiales et des Grands Bureaux (1926) convertis en établissement scolaire. A quelques mètres à peine leur est accolé, dominant comme une cathédrale, le parc à mitrailles.
Treize fermes d’acier plein culminant à 18 mètres de haut confèrent à ce bel ensemble d’architecture métallique son expression de puissance et de robustesse. Leurs jambages rythment l’immense volume par l’alignement de poteaux en flèches dont l’élancement s’interrompt au niveau de l’ancien chemin du pont roulant. Les pointes des charpentes sont reliées par une verrière faîtière en angle droit, qui les illumine et coiffe l’édifice à la manière d’une crête.
La Commune de Court-Saint-Etienne acquiert en mars 1998 la friche industrielle d’une contenance de 7 hectares en bordure de laquelle se situe le parc à mitrailles, avec l’intention de la reconvertir avec l’aide de la Région wallonne, pour partie en zone d’intérêt communautaire, et pour le reste en zone d’activités économiques.
C’est en 1998 que commence l’histoire du sauvetage et de la réaffectation du parc à mitrailles, au moment où l’ASBL Nuits d’Eté décide d’y commémorer le 50e anniversaire de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme. A cette fin, elle propose la création d’un spectacle musical, le Canto General, chef d’oeuvre du poète chilien Pablo Neruda et dont Mikis Theodorakis a réalisé l’orchestration à l’invitation de Salvador Allende.
Pour réussir cette entreprise, la Commune de Court-Saint-Etienne, la Communauté française, la Région wallonne, la Province de Brabant wallon, le Centre culturel du Brabant wallon et des partenaires privés regroupent leurs moyens au sein de l’ASBL Parc à Mitrailles. Dans le même temps, ils s’attellent à jeter les bases d’une réaffectation du hall en vue d’y accueillir de grands événements. La majesté du volume de l’édifice et la surface couverte utile (près de 3.000 m²), son bon état général, son intérêt historique, patrimonial et architectural, son implantation au cœur du Brabant wallon et la proximité du réseau autoroutier constituent des atouts particulièrement favorables au développement d’un centre d’événements à caractère culturel, social, économique et touristique.
En septembre 1998, le Canto General fournit la démonstration que le site et le lieu ont un avenir et qu’il faut leur redonner une nouvelle vie. En décembre 1998, la Féerie Foraine, avec l’installation sous le même toit d’un grand cirque et d’attractions foraines anciennes, confirme à son tour ce potentiel. Dès 1999, la Commune, devenue entre-temps propriétaire du hall et de ses abords, concrétise sa volonté de lui donner un avenir durable en chargeant le bureau d’architecture A.B.R. d’étudier la programmation d’aménagements pour y développer des activités à caractère événementiel. Ensuite, elle fait procéder, dans le cadre d’une opération de rénovation et d’assainissement du site d’activité économique désaffecté, à la démolition de l’usine 2 dans le courant de l’année 2000.
Au lendemain de la disparition des constructions voisines, trois côtés du hall parc à mitrailles sont ouverts à tous vents. Seule la façade côté chemin de fer reste fermée sur toute sa longueur par le maintien de son aile latérale, abritant anciennement une voie ferrée de desserte intérieure. Au début de l’année 2001, la Commune donne le feu vert à A.B.R. et à l’architecte Quentin Défalque pour l’exécution, avec l’aide de la Région wallonne, des travaux de gros oeuvre pour la mise hors eau de l’édifice.
Les deux pignons sont refermés par une double paroi de panneaux de polycarbonate ondulé appliquée de part et d’autre d’une nouvelle charpente métallique. Ce matériau, utilisé entre autres pour l’habillage d’un complexe de salles de cinéma au centre de Rotterdam, autorise quelques variations, notamment par la juxtaposition de surfaces translucides et de surfaces opalines. C’est le cas du pignon sud qui s’ouvre, à la manière d’un rideau, sur le centre de la localité. II se situe en retrait de la toiture, à l’endroit de la seconde ferme, de manière à conférer une certaine légèreté au volume principal en l’équipant d’une sorte de casquette. La partie inférieure des deux pignons est dotée d’une batterie de portes métalliques ajourées à double battant.
La longue façade latérale de plus de 100 mètres opposée au chemin de fer est, quant à elle, rythmée par des poutres verticales. Elles assemblent les panneaux de béton cellulaire surmontés d’une verrière longitudinale qui rejoint la corniche. Cette façade fait face à une vaste aire de stationnement et comporte l’entrée principale dont l’alignement de portes doubles est coiffé d’une verrière opaline ondulée.
L’intérieur impressionne et exerce une magie sur tout visiteur qui y pénètre. La composition, à la fois sobre et généreuse, des charpentes métalliques anciennes peintes en jaune ocre, ou « jaune Henricot », fascine le regard. Elle laisse rêveur celui qui la découvre et éveille le créateur d’événements qui sommeille en lui.
Cet édifice hors norme n’a pas d’équivalent en Brabant wallon. Par sa spécificité, il complète l’éventail des grandes infrastructures que compte l’agglomération constituée par les communes voisines d’Ottignies-Louvain-la-Neuve et de Wavre. Ce type de hall peut tout spécialement jouer un rôle de vitrine et de catalyseur des forces vives de la province. Il donne en tout cas l’occasion à Court-Saint-Etienne, durement affectée par la fermeture des usines Emile Henricot, de retrouver enfin son rayonnement de jadis.
Pierre WALGRAFFE
Article publié dans «Patrimoine et réaffectation en Wallonie », Namur, 2005
(Coll. Le Patrimoine en Wallonie)